Historique

Portrait de l'abbé Saint-Onge

Révérend Louis-Napoléon St-Onge.

Par Dr Brigitte Ouellet, vice-présidente nationale et présidente du Chapitre de Montréal,
Société pour l'Étude de l'Égypte ancienne.

L'abbé Saint-Onge

Le révérend Louis-Napoléon Payant dit de St-Onge est né à Saint-Césaire dans le comté de Rouville, le 14 avril 1842, d'un père cultivateur, Jean-Baptiste Payan-Saint-Onge et d'Euphémie Chicoine1. Sa famille descend de Jacques-François Payant-St-Onge, cordonnier et soldat, né vers 1650 dans la paroisse de Sainte Colombe à Saintonge (France)2, venu s'établir au Canada. L'abbé Athanas St-Pierre3, qui l'avait rencontré pour la première fois à St-Pie, le décrit comme un véritable colosse de plus de six pieds et trois pouces, un missionnaire dont les captivants récits de missions s'imprimaient dans la tête de ceux qui l'écoutaient. Il n’était pas particulièrement beau; stature un peu courbée, long nez proéminent, menton pointu, cheveux longs et abondants, yeux noirs au regard vif, pleins d'intelligence. On le disait homme d'esprit et de bonne compagnie, gai, charmant et joyeux. Il était non seulement doué pour les langues (français, anglais et cinq ou six dialectes amérindiens, dont le chinook, le yakama, le wampoo) mais aussi, un artiste qui maniait admirablement la sculpture au couteau .

Louis-Napoléon entreprend d'abord ses études classiques au collège de Saint-Hyacinthe où, dès l'âge de treize ans, on lui reconnaît le don des langues. Bien qu'il étudie le droit pendant deux ans, il entend l'appel de Dieu et désire devenir missionnaire auprès des Amérindiens. Le 15 octobre 1864, l'évêque, Mgr Blanchet le charge de l'enseignement de la langue anglaise, de la philosophie naturelle et de l'astronomie au Holy Angel’s College de Vancouver. Il termine sa formation en théologie près de la rivière Columbia. Durant ses temps libres, il s'applique à l'apprentissage des langues amérindiennes. Puis, fin prêt, il est ordonné prêtre diocésain le 31 mai 1866 par son évêque d'adoption, Mgr Blanchet. Nous sommes alors à l'époque de la colonisation dans l'ouest du pays, des postes de traite et de commerce de la Baie d'Hudson, des premières colonies. Les missionnaires sont appelés à peupler de nouvelles terres et à civiliser les «sauvages»4 pour en faire de bons chrétiens.

Chef-Cleveland Kamiakin

En septembre 1867, l'abbé St-Onge obtient l'accord de son protecteur pour partir en mission auprès des Amérindiens dès mars 1868 avec le frère Jean-Baptiste Boulet qui le rejoindra comme assistant l'année suivante. Il arrive muni de son coffre de charpentier, d'outils de cordonnier et de neuf dollars pour rebâtir Saint-Joseph d'Ahtanam5 dans l'État de Washington. La mission avait été créée en avril 1852, à la demande du chef Kamiakin, mais celle-ci avait dû être abandonnée pour cause d'incendie en novembre 1855 durant la guerre entre les Américains et les Amérindiens. L'évêque Blanchet lui assigne ainsi la charge des Yakamas, des Kittitats, des Winatchas, et autres amérindiens habitant le territoire de Washington. Dans une pauvreté extrême, le révérend St-Onge demeure quatre ans avec les Yakamas, se vouant à l'évangélisation des Amérindiens et des mineurs des territoires de Washington, de l'Idaho, du Montana et des autres régions des Rocheuses. Le service religieux y est pratiqué dans une simple cabane en bois6 rond qui servait aussi d'habitation.

C'est de cette époque que datent les premiers vergers de la fertile vallée Yakama. La source nouvelle de revenus et le succès de l'abbé St-Onge auprès des Amérindiens amène le R. P. méthodiste James H. Wilbur à réduire l'impact des catholiques en initiant devant le Département des affaires indiennes la fameuse Grant's Peace Policy7; la vallée de Yakama devient une zone réservée aux méthodistes. Le clergé catholique se voit ainsi interdire l'entrée8 sur les réserves amérindiennes et la possibilité de faire affaire avec eux. Les Amérindiens catholiques auraient pris part dans cette cause pour essayer de reconquérir certaines parcelles de terre. L'abbé St-Onge envoie une lettre le 14 décembre 1869 au Secrétariat de guerre, ce qui lui valut l'appellation d'« agent papiste »7 . Afin de l'appuyer, Mgr Blanchet, évêque de Nesqually rédige une lettre datée du 17 février 1870 à James Alphonse McMaster, éditeur du Freeman Journal catholique romain, pour faire état d'une réclamation en dommage et intérêt9.

Page titre dictionnaire Chinook Fin juillet 1871, l'abbé St-Onge quitte Saint-Joseph et remet son œuvre aux Jésuites10. Pendant toutes ces années en mission, il a été exposé aux privations et vécut bien souvent avec les Amérindiens11. Ses longs voyages à cheval lui ont causé de sérieux maux de reins qui rendent désormais son ministère trop pénible. Mgr Blanchet lui ordonne de revenir au Québec pour se soigner. Il fait un séjour de dix-huit mois dans un hôpital à Montréal pour se reposer. Pendant ce temps, il en profite pour se consacrer à la traduction et à l'élaboration de dictionnaires et catéchismes en dialecte chinook12 qui serviront d'outils aux missionnaires. Puis, sur la recommandation de son médecin, il semble avoir voyagé près d'un an en Europe, notamment en France et en Italie13. L'acquisition de la petite collection égyptienne daterait probablement de cette époque, ou peut-être encore de son séjour subséquent aux États-Unis selon que l'abbé St-Onge a profité du marché européen ou américain.

À son retour, en 1873, Mgr de Goesbriand, évêque de Burlington au Vermont, lui confie la cure de Brattleboro où il sert à l'église St Michael pendant un an et neuf mois, puis celle à Rutland. Son portrait, conservé aujourd’hui dans la magnifique chapelle du Séminaire, date de 1874. En 1875, il s'installe à Glens Falls dans l'État de New York pour les prochains dix-huit ans. Il officia comme quatrième recteur à l'Église Saint-Alphonse de Liguori14 du diocèse de Nesqually et prêtre à l'église de Sandy Hill du diocèse d'Albany. Dans ses temps libres, soucieux de transmettre à ses semblables ses connaissances sur l'histoire, les mœurs et les croyances, il travaille à l'élaboration d'un petit musée personnel. Il rassemble des artefacts de civilisations et d'époques différentes, rédige des étiquettes manuscrites pour chacun d'eux en prenant soin d'indiquer quelques détails d'intérêt pour en retracer les origines15. De plus, on sait grâce à la correspondance de Louis Riel que ce dernier avait habité chez notre R. P. quelque part entre la fin février et le 28 mars 1878 – il fut d'ailleurs son confesseur16. St-Onge demeura à Glens Falls jusqu'en octobre 1891. De plus en plus malade, l'abbé abandonne son ministère en octobre 1893, à l'âge de cinquante-et-un ans. Après tant d'années, l'abbé St-Onge laisse derrière lui le souvenir éloquent d'une forte personnalité : « Father St. Onge, though a man of uncommon physical appearance, (…). Father St. Onge, a man of great erudition, a devoted servant to the church, and possessing a personality whose geniality and courtesy have won him a place in the hearts of his people, has by his faithful application to his parish developed it and brought out all that was to inure to its benefit and further advance its interests» Glens Falls (N. T.) Republican, March 28, 1889.

Vitrines Abbé Saint-Onge

Épuisé et malade, il se retire alors pendant quatre ans, chez son frère, curé de l'église Saint-Jean Baptiste de Troy de l'état de New York. Là, il fait des études ethnologiques, devient collectionneur et établit un véritable musée. Si la collection égyptienne ne fut pas acquise en Europe, elle a pu être achetée à cette époque. Il revient au pays en 1897 pour y finir ses jours. Il s'établit alors à Saint-Hyacinthe où il loue une maison en face du collège. Il remet au Séminaire de Saint-Hyacinthe des arcs, des flèches et autres objets recueillis chez les Amérindiens de l'Oregon et de Washington ainsi que sa bibliothèque et son musée17. Ce qui est certain, c’est que l'abbé François-Xavier Bourque fonde le Musée en 1884, et la collection égyptienne s'y trouve avec les autres curiosités. Dans les années cinquante, faute d'espace, on ne conserve que quelques armoires vitrées dans les halls du séminaire et aujourd'hui, la petite collection repose malheureusement dans des boîtes.

Pendant plus de trente ans, l'abbé St-Onge souffre d'affections aux reins qui empoisonnent son sang et affaiblissent son cœur. Malgré les bons soins que lui prodigue sa sœur, il s'éteint le 26 novembre 1901, à l'âge de cinquante-neuf ans laissant derrière lui une collection de plus de quatre cents objets. Le père Saint-Onge, comme on aimait l’appeler, repose aujourd'hui au cimetière de la paroisse de la cathédrale de Saint-Hyacinthe au pied de la grande croix centrale. Tout au long de sa vie, l'abbé St-Onge a démontré qu'il avait le souci et le besoin de s'ouvrir et de comprendre l'« autre », qu'il soit de langue, de mœurs ou d'époque différentes; c'est sûrement ce qui rend chacune des pièces qu'il a collationnées à la fois si vivante et si digne d'intérêt.